4 septembre 2019
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Il était une fois un lapin. Pas un lapin ordinaire, mais un élégant dandy audacieusement vêtu, qui berçait un spleen de célibataire en lisant Roméo et Juliette ! Il rêvait de se marier… Il était une fois une très jolie carotte, orange et rougissante, qui, voyant un lapin à tous les coins de rue, osait à peine quitter son logis. La rencontre eut lieu, désastreuse : la belle, verte de peur, tomba dans les pommes et mit son amoureux transi dans l’embarras. Comment s’y prendre ? Un dentiste eut raison de son pire désavantage : l’insolente agressivité de ses dents ! Alors, tout fut possible. Y compris pour le couple amoureux, la traversée victorieuse de l’épreuve du renard….
Ainsi va la vie, dans les contes ! Celui-ci est savoureux : le clin d’oeil décalé à la tradition rappelle à qui l’aurait oublié qu’à coeur aimant, rien n’est impossible. Quitte à bousculer une deuxième certitude : les lapins « aiment » les carottes. Et une troisième : les renards des histoires ont la babine qui frétille. Le conte n’est-il pas un espace de défis ? En trois bonds palpitants, l’affaire est bouclée pour que les héros « vivent heureux et aient beaucoup d’enfants ». De quoi ravir le lecteur. Mieux : Eric Sanvoisin assortit malicieusement son récit d’un commentaire à deux voix, celle de la conteuse, une araignée, et celle d’un ver de terre qui l’écoute et réagit à sa manière, impertinente et drôle, à la loufoquerie de l’improbable romance. On les croise rarement dans les albums jeunesse… Les répliques fusent, de la narratrice velue au vermisseau qui ne s’en laisse pas conter ! Marions-les offre donc un récit dans le récit, à deux niveaux de lecture.
La mise en image de Delphine Jacquot est une deuxième prouesse : l’album en hauteur permet une astucieuse répartition des deux textes ; le deuxième, crédité d’une bande blanche en bas de page, installe un face à face théâtral entre les deux protagonistes aux prises avec le conte : mimiques aussi savoureuses qu’expressives ! L’illustratrice s’est surpassée… Autre excellente idée : la différenciation des deux groupes de personnages par un changement d’échelle, lapin, carotte et renard occupant l’essentiel de l’espace narratif. Un espace à trois couleurs dominantes : l’orange, un bleu nuit et le vert dont la complémentarité et le contraste servent la netteté de l’image. Le trio personnifié « à la manière de… » est mis en scène avec une inventivité qui rime avec le texte, en accentue l’humour dans la liberté de détails graphiques impromptus qui disent la connivence entre l’écrivain et l’illustratrice. Le plaisir des deux est sensible et communicatif ! (C.B. et M.T.D.)