Ecriture collaborative d’une suite au roman « Le Parloir » d’Eric Sanvoisin |
Echange 4A – 4B (année scolaire 2015 – 2016) |
Des éléves de 4e du collège Montaigne à Saint-Quentin dans l'Aisne ont ajouté quelques chapitres au roman Le Parloir. Un beau travail...
LAURE
J’appelle l’avocat de Yan. Je lui dis qu’il faut absolument que je le vois, que c’est au sujet de mon frère, que j’ai quelque chose d’intéressant à lui montrer. Maître Boulanger, que je sens intrigué mais aussi un peu désabusé, prêt à abandonner le droit, m’indique qu’il sera disponible le lendemain à 10h. Nous prenons donc rendez-vous.
La nuit se passe en pensant à Yan, comme la plupart du temps depuis son incarcération.
Le lendemain, je me rends au cabinet de l’avocat avec le dessin dans mon sac. Je compte bien remettre en question le jugement, innocenter mon frère. Je ne le laisserai pas tomber.
A l’heure dite, maître Boulanger me reçoit et m’invite à m’asseoir. La discussion commence.
« Que vouliez-vous me dire de si important ? »
J’ai une boule au ventre. Va-t-il me prendre au sérieux ? Je lui montre le dessin.
« Je suis allée voir Yan en prison et il m’a remis ceci. »
Il regarde le dessin un long moment. Mon cœur bat de plus en plus fort.
« Est-ce vraiment Yan qui l’a dessiné ? C’est excellent. Je vais en parler à la juge pour vérifier la possibilité d’un procès en appel. »
Ce dessin d’enfant constitue en fait la première parole de mon frère depuis longtemps, et ce qu’il raconte est capital.
Tout commence.
MAÎTRE BOULANGER
Après cette bonne nouvelle, je me dirige vers le parking pour récupérer ma voiture et je rentre chez moi.Maître Boulanger
Je suis vraiment heureux de l’espoir que j’entrevois pour mon client, Yan. Au fond de moi j’ai toujours su qu’il était innocent. Ce pauvre garçon protégeait sa copine depuis le début ! Et pourtant, elle ne lui a fait aucun cadeau…
Je vais devoir demander un nouveau procès en appel et je n’ai jamais fait ça. Il faut dire que je ne suis avocat que depuis quelques mois et cette histoire est ma première affaire sérieuse. J’espère que la juge acceptera de rouvrir ce dossier avec la simple preuve du dessin. Et si Yan ne se décide toujours pas à parler, que se passera-t-il ? Passera-t-il toute sa vie en prison pour un acte qu’il n’a pas commis ?
Perdu dans mes pensées, j’arrive chez moi…Je rentre. Je suis seul ce soir, j’ai perdu la garde alternée de mes enfants. Je me sens triste et incompétent. Je suis avocat et je n’ai même pas réussi à gagner mon propre procès !
Aussitôt arrivé, je commence à travailler sur mon dossier pour le procès en appel de Yan. Serai-je enfin à la hauteur pour une fois ?
Déborah
Je vous écris cette lettre pour vous dire la vérité.
Je m’appelle Déborah.
J’en ai plus qu’assez de cette culpabilité qui me ronge de l’intérieur : j’ai fait du mal à mon entourage et à mes proches. Cela me ronge tellement de l’intérieur que toutes les nuits, j’en fais des cauchemars et je me réveille en sursaut, en hurlant, en tremblant de peur. Parfois, j’ai l’impression que je ne me réveillerai jamais.
Certaines personnes viennent sonner à ma porte pour me consoler car tout le monde sait que l’assassinat de mon père m’a bouleversée. Cependant, je ne ressens en eux que de la pitié. Ensuite, tout le monde rentre chez soi tranquillement en me disant : « Courage ! Ne t’inquiète pas ! La personne qui a tué ton père est en prison derrière les barreaux. Elle ne pourra plus te faire de mal. » Quand j’entends ça, je ne peux m’empêcher de culpabiliser encore plus.
Je pensais qu’au fur et à mesure, j’oublierais cette scène et ce que j’ai fait, mais je n’y arrive pas.
C’est pour cela que j’écris cette lettre.
C’est moi qui ai tué mon père et j’ai accusé Yan de ce crime. Oui, je l’ai accusé pour ne pas aller en prison. Depuis le début, Yan est innocent. J’ai tout fait pour qu’il soit emprisonné mais je m’en veux d’avoir fait cela. Je revois tout le temps ce moment où j’ai assassiné mon père. Ce que j’ai fait à Yan n’est pas correct. J’ai détruit deux vies. C’est de ma faute. Tout est de ma faute. Voici la vérité.
Je pense que le mieux serait que je disparaisse de ce monde. J’ai fait tant de mal à beaucoup de personnes. Je m’en veux tant. Il faut que je meure. C’est près de la table basse, à côté de mon corps gisant au sol, une balle dans la tempe, que vous aurez trouvé cette lettre.
Déborah
PS : dîtes à Yan que je l’aime encore et que je lui demande pardon.
Laure
Je me rends donc chez elle en voiture. Je me gare, une boule au ventre. Comme elle est folle, je me demande comment elle va réagir. J’entre dans son immeuble, je me dirige vers l’ascenseur mais des bruits de sanglots dans un appartement me font sursauter. Je crois que ça vient de l’appartement de Déborah. J’arrive devant sa porte, je n’entends plus rien mais je suis bien décidée à la voir et à lui parler. Je sonne. Personne ne répond. C’est étrange car je suis sûre de l’avoir entendue pleurer en arrivant. Je sonne à nouveau, toujours rien. Je me décide alors à entrer. Je pousse la porte, j’avance et là je vois Déborah assise à côté d’une table avec une arme à la main. Une lettre est posée à côté d’elle. Immédiatement je comprends ce qui est en train de se passer ! Déborah est sur le point de mettre fin à ses jours.Je regarde pour la centième fois le dessin de mon frère les larmes aux yeux. L’enquête va vraiment pouvoir avancer ! Quand je pense que Déborah a osé accuser mon frère !! Elle doit vraiment être complètement folle pour croire à ses propres mensonges ! Il faut que je lui parle, qu’elle m’explique pourquoi elle a fait ça, qu’elle comprenne aussi le mal qu’elle a causé aux gens autour d’elle.
Je cours vers elle pour l’empêcher de commettre l’irréparable. Dès qu’elle me voit, elle reste figée. Je m’avance tout doucement, sans geste brusque et je lui retire doucement l’arme des mains. Je la pose sur la table et m’assois à ses côtés. Même si je suis très en colère contre elle, j’essaie de rester calme. Elle doit être complètement désespérée pour en arriver là ! Je sors mon téléphone et appelle les secours. Déborah s’effondre dans mes bras en pleurant.
LAURE
Je souffle un bon coup avant de la lire. Effondrée ! Je suis effondrée, choquée. Je commence à verser des larmes. Bouleversée. Heureuse pour mon frère qui voit donc sa libération se confirmer suite à cet aveu. En colère contre Déborah pour tout le mal qu’elle a fait. Triste pour les coups que son père lui donnait : jamais je n’aurais imaginé le calvaire qu’elle a enduré.
Je sors de chez elle en prenant la lettre avec moi. Je me rends à ma voiture et fonce sans trop faire attention à la circulation, pressée de lire mot par mot à Maître Boulanger cette confession de Déborah.
Je lis sur le visage de l’avocat l’étonnement et la surprise, ce qui peut se comprendre : une preuve de plus pour innocenter Yan ! Il m’annonce qu’il se chargera de tout. Il ouvre devant moi le dossier de son client et ajoute cette lettre libératrice. Il décroche son téléphone.
« Secrétariat de Mme la juge d’instruction B., je vous écoute… »
Yan
J’entre dans le tribunal. Tous ces yeux qui me regardent, tous ces gens qui me jugent me terrorisent. Qu’est-ce que je fais ici encore !! J’ai dix-huit ans, je devrais être dehors, en train de rire avec mes amis… Le juge me demande d’avancer à la barre. Je m’exécute sans lever les yeux. Sur le côté j’aperçois Laure. Voir ma sœur me redonne courage. Le juge me demande si je peux raconter précisément ce qui s’est passé. Mais les mots restent bloqués dans ma gorge, je ne peux rien dire, j’essaie pourtant mais impossible. Pas un son ne sort. Maître Boulanger prend alors la parole et raconte toute l’histoire…Les mots se mêlent dans ma tête, j’ai l’impression que je vais m’évanouir…J’entends meurtre, alcool, folie, innocent…mais je n’arrive pas à me concentrer davantage sur les phrases. L’attente du verdict me paraît interminable. Finalement le juge reprend la parole et je perçois uniquement le mot « innocent ». Maître Boulanger me sert dans ses bras, visiblement ému. Je ne comprends pas trop ce qui se passe…Et puis …Je suis libre !!! Libre !!!! C’est fini la cellule, les codétenus, les repas en prison, les promenades, les coups, les humiliations….Je suis libre !!
J’avance hors du tribunal en suivant maître Boulanger. Il peut être fier de lui, ma libération s’est faite rapidement. Je suis sûr qu’il deviendra un excellent avocat avec le temps. En descendant les marches du tribunal j’aperçois Laure. Je me sens tellement heureux. Je regarde les gens autour de moi, tout me semble nouveau. Je pense à tout ce que je vais enfin pouvoir faire…Me promener, voir mes amis, manger ce que je veux, aller au cinéma. Je suis libre !!! J’avance vers elle, elle me prend dans ses bras, elle est en larmes. Elle me demande ce que je veux faire, où je veux aller. Je la regarde et les mots, bloqués depuis si longtemps en moi, sortent. Je lui réponds : « Je veux vivre et profiter de ma liberté ».