- Pourquoi écris-tu ? Est-ce quelque chose de facile à expliquer ?
Parce que j'en ai besoin. Parce que c'est vital pour moi. C'est très facile à expliquer. L'écriture, c'est ma respiration. Ne pas respirer, c'est mourir…
- C’est quoi être écrivain ?
Je ne sais pas. Je n'écris pas à plein temps. Suis-je un écrivain ? Et c'est quoi être un écrivain jeunesse ? Je ne sais pas. Je n'écris pas à plein temps pour la jeunesse. Suis-je un écrivain jeunesse ? Je suis un auteur jeunesse. Ah, ah !
- Pour toi, écrire c’est quoi ?
C'est quelque chose de très charnel. J'ai avec l'écriture un rapport de symbiose. Je suis presque incapable d'inventer une histoire sans l'écrire. J'invente mot à mot. Les mots me guident, comme des petits cailloux blanc qui brillent sous la lune, sauf qu'ils me permettent de m'évader au lieu de m'aider à rentrer chez moi. Ecrire, c'est vivre. Je me raconte des histoires, je vous raconte des histoires. Et mon grand plaisir, c'est de découvrir l'histoire comme un lecteur, un peu chaque jour, avec beaucoup de surprises qu'il faut accepter et tenter de maîtriser. La plupart du temps, je ne sais pas où je vais et ça me va très bien. Quand j'ai une difficulté, j'arrête. Je la garde au chaud pour le lendemain. La nuit porte conseil. Au petit matin suivant, je l'affronte !
- L’écriture a-t-elle toujours été en toi ou est-ce quelque chose qui est arrivé tardivement ?
J'ai commencé à écrire des histoires vers l'âge de 9/10 ans. Des histoires, pas des poèmes. Tout de suite des romans. Puis des nouvelles. L'écriture a toujours été en moi. Dans le ventre de ma mère, je n'avais pas de crayon…
- Ecris-tu pour un public ? Le public t’a t-il influencé ?
J'écris d'abord pour moi. C'est vachement égoïste. Ensuite… mais c'est une autre histoire ! L'échange vient longtemps après. Le partage aussi. L'histoire en chantier n'appartient qu'à moi. L'histoire terminée ne m'appartient plus. J'aime savoir ce que les lecteurs pensent de mes textes. Je le redoute aussi.
- Comment définis-tu tes romans ? qu’est-ce qui te guide ? te pousse ?
Mes romans sont comme des partitions et l'écriture une musique. J'entends avec mes yeux, avec mon cœur, avec mon esprit. J'ai envie de créer quelque chose de joli. Mais ce qui est joli n'est pas forcément réussi. Et ce qui est joli un jour peut devenir très laid le jour suivant.
- Cette fameuse imagination, d’où vient-elle ? de quoi t’inspires-tu ?
Elle vient de loin. C'est un melting pot. Un estomac qui digère les souvenirs, les humeurs, les douleurs, la vie quotidienne, l'actualité, les lectures, les musiques, les bonheurs, les manques, les absences, les regrets, les rêves… Pour écrire, il me faut une envie. Il suffit parfois d'un mot, d'une impression, d'une phrase, d'un titre, d'une situation, d'une conviction, d'une révolte, d'une étincelle…
- Qui te lis en 1er ? Un proche ?
Les éditeurs. Parfois, c'est arrivé, l'un de mes enfants. Mais rarement.
- Comment crées-tu tes personnages ?
Je ne sais pas. Je les peins avec des mots. Ils parlent. Je les décris plus par des dialogues que par des descriptions physiques. Ils gardent une certaine autonomie.
- Comment procèdes-tu pour écrire ? Un plan ? des carnets ?
Pas de plan, pas de carnets. Je pars à l'aventure. À la fin du texte en cours, je jette quelques idées pour la suite immédiate, des propositions, des extraits de dialogues dont certains meurent d'eux-mêmes. Faire un plan serait une perte de temps. Je ne le respecterai pas. Ça m'excite de ne pas savoir où les mots m'emmènent. Il faut juste retomber sur ses pieds à la fin. Il y a les moments où j'écris pour de vrai et les moments où j'écris pour de faux, où j'écris sans écrire, où mon histoire fermente…
- A quel moment écris-tu ? Avec quoi ? Une heure précise ? Isolement ?
Il y a quelques années, j'écrivais tous mes textes dans les trains (je les prenais tous les jours ou presque). Mais depuis 2000, je ne prends plus le train. Aujourd'hui, j'écris toujours le matin, de 5h00 à 7h00, quand tout le monde dort et que j'ai l'esprit clair. J'ai un autre métier qui me prend les heures de la journée et une famille qui prend tout le reste. C'est un compromis, pour continuer à écrire. Comme beaucoup, c'est mon écriture qui s'adapte à ma vie et non l'inverse.
- Est-ce que ce sont tes personnages qui te mènent ? Par exemple, peuvent-ils te faire changer de voie en cours d’écriture ?
Oui, ils le peuvent. Ils ont ce pouvoir. Je leur laisse cette liberté qui est aussi la mienne. Mais parfois, je dis non, je les retiens quand ils dérapent. Ils doivent rester cohérents. Nous négocions. En cas de désaccord, c'est toujours moi qui tranche !
- Est-ce que lecture et écriture vont de pair ? Faut-il aimer lire pour écrire ?
Certainement. Pourtant, quand j'ai commencé à écrire, je n'aimais pas lire. Je suis devenu un gros lecteur à partir du collège. Il y a un lien entre les deux. Mais on peut écrire en lisant peu. Aimer lire n'est pas une obligation. Pour moi, cependant, la lecture et l'écriture sont comme deux sœurs.
- Pour toi, lire c’est quoi ?
C'est voyager. Mais l'écriture aussi. Je sais, ma réponse n'a rien d'original. La lecture est une autre forme de respiration, une sorte d'oxygénation.
- Te sens-tu libre comme écrivain ? Censure ? T’interdis-tu des choses ?
Je me sens libre. L'écriture n'étant pas mon métier officiel, j'écris ce que j'ai envie d'écrire. Pas de commande, pas d'obligations. Cependant, l'auto-censure existe bel et bien. Les éditeurs n'acceptent pas tout. Il m'est arrivé d'écrire des passages en sachant pertinemment que mon éditeur me les ferait corriger. Et ça n'a pas loupé. La provocation fait partie de l'écriture mais elle est mesurée. Je ne m'interdis pas certaines scènes… Je n'ai tout simplement pas envie de les écrire.
L’éditeur te « dirige »-t-il beaucoup dans ton inspiration ?
Pas du tout. Pas dans mon inspiration. C'est une fois que le texte est écrit que l'éditeur intervient. Et là, j'ai vu de tout. Des vertes et des pas mûres. Généralement, ça se passe bien. C'est une discussion, parfois une négociation. Il m'est arrivé une fois de demander à un éditeur ce qu'il "voulait" avant de lui proposer un projet de série. Nous nous sommes accordés sur une tranche d'âge. J'ai proposé un genre (la fantasy, en sachant qu'il n'y avait pratiquement rien pour les plus jeunes, à partir de 8 ans). Ensuite, j'avais carte blanche. C'était un défi que je me lançais et que j'avais drôlement envie de relever.
- Quels sont tes auteurs préférés ? tes lectures préférées ?
Mes auteurs préférés sont ceux de mon adolescence : Vian et Tolkien. J'ai lu aussi énormément de science-fiction. "Demain les chiens", de Simak, est un livre qui m'a marqué. Je lis également beaucoup de littérature jeunesse (je suis bibliothécaire jeunesse !). Parmi mes auteurs préférés, il y a Christian Grenier et Michaël Morpurgo. Je connais un peu moins les illustrateurs pour la jeunesse mais leur travail est souvent remarquable (et parfois, dans les albums, bien supérieur au texte qu'ils illustrent !). J'aime trop de choses pour les citer toutes !
- Les livres jeunesse qui t’ont marqués chez les autres ?
"L'écume des jours", "Le seigneur des anneaux", "Demain les chiens"…
- Quel est le livre que tu as écrit pour lequel tu gardes une affection particulière ?
Il y en a plusieurs mais si je devais n'en citer qu'un, ce serait "Le buveur d'encre". C'est un peu ma marque de fabrique (je suis un vampire littéraire !), même si j'ai écris beaucoup d'autres titres.
- Qu’est-ce ce que la littérature jeunesse pour toi ?
C'est avant tout de la littérature. Dans littérature jeunesse, il y a aussi l'illustration. Il n'y a pas de véritable littérature jeunesse sans l'illustration jeunesse. L'amour de la lecture se forge souvent dès le plus jeune âge. Plus le lecteur grandit, plus les images se font discrètes. Mais même pour un roman pour ados, le dessin de couverture est important.
- Qu’est-ce qu’un auteur jeunesse ?
Une femme ou un homme qui écrit des histoires avec style. Son style à nul autre pareil. Avec ses qualités et ses défauts.
- Faut-il lire les classiques ?
Oui. Mais il ne faut pas que ce soit une obligation.
- As-tu un avis sur l’avenir du livre ? Les nouvelles technologies vont-elles le tuer ?
Elles vont le transformer mais pas le tuer. Je me pose beaucoup de questions dont je n'ai pas les réponses. Les auteurs sont inquiets parce qu'ils ne pèsent pas très lourds dans la machine commerciale. Néanmoins, ils sont vigilants. Les auteurs jeunesse s'organisent. La charte des auteurs et illustrateurs pour la jeunesse est un élément fédérateur indispensable.
- Qu’aimerais-tu écrire ? un sujet que tu n’as pas abordé et qui te taraude ?
Un sujet qui me tient à cœur, c'est le handicap. Mais il est difficile de faire accepter ces textes-là aux éditeurs. Il faut parfois biaiser, tricher… Faire comme si ce n'était pas le sujet de l'histoire. Il paraît que le handicap n'est pas vendeur !
- Quelle est la phrase qui te pose le plus de souci dans l’écriture ? L’incipit ?
C'est souvent la fin (pas forcément la dernière phrase mais le dénouement en général). Il n'est pas facile de terminer un roman aussi bien qu'on l'a commencé. L'incipit ne me pose aucun problème. Je pourrais commencer un roman chaque jour !
- Quel style préfères-tu ? style indirect libre… « Je » ou « Il »…
J'utilise les deux mais je préfère le je. Dans je, il y a jeu. Ça introduit une proximité avec le lecteur, une sorte d'intimité sur laquelle l'auteur peur jouer.
- Combine dure la phase avant l’écriture (recherches…) ? ET la phase d’écriture ?
Ces deux phases sont mêlées chez moi. J'ai besoin d'écrire pour avancer. Il n'y a guère que "Le buveur d'encre" que j'ai laissé mariner 6 mois dans ma tête avant d'écrire le premier mot. Souvent, j'écris, je cherche, je me documente un peu, j'écris, je cherche, j'écris beaucoup, je cherche beaucoup, j'ai besoin de prendre mon temps. Le temps qui passe est une composante de mon écriture. Je n'écris jamais plus de deux heures d'affilée. Je suis du style à construire une maison en posant une brique un jour, une autre le lendemain. Il ne faut pas être pressé. Le toit, ce sera pour l'année prochaine !